PTSD : “comment j’ai appris à vivre avec mes troubles de stress post-traumatique” PTSD : “comment j’ai appris à vivre avec mes troubles de stress post-traumatique”

PTSD : “comment j’ai appris à vivre avec mes troubles de stress post-traumatique”

Témoignages

Photos Antoine Testu

Texte Anthony Vincent

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Reporter de guerre dans la région du Sahel pendant six ans, Eddy* est revenu en France traumatisé. Pour soigner ses troubles anxieux sévères, un suivi psychologique en EMDR l’a aidé, sans être une solution miracle. Il nous raconte.

On appelle Trouble de stress post-traumatique (ce que les anglophones appellent PTSD : post-traumatic stress disorder) une réaction psychologique suite à une situation où l’intégrité physique ou psychologique d’une personne, ou de son entourage, a été menacée ou atteinte. Cette expérience traumatisante peut laisser des séquelles sévères dans les trois mois, voire entraîner des troubles plus longtemps encore, qu’on désigne alors comme chroniques. C’est dans ce deuxième cas de figure que se trouve Eddy, comme il le raconte aujourd’hui pour Horace :

Flashbacks, attaques de panique et angoisses nocturnes

“J’étais reporter de guerre en Afrique pendant six ans, avant d’arrêter il y a deux ans, en 2019. Il m’est arrivé d’aller sur des terrains compliqués, où j’ai vu des cadavres. C’était horrible, mais ce n’est même pas ce qui m’a le plus marqué, car l'œil est relativement préparé à ce genre de visions, par les films, les séries, les jeux vidéo. Ce qui m’a le plus bouleversé, c’est l’odeur de massacre, de chair pourri, de poudre et de feu. J’ai aussi subi des violences plus directement, mais tu te persuades que t’es plus fort que ça, que ça ne t’atteint pas durablement. En tant que journaliste, on peut avoir l’habitude de mettre en place une forme de distanciation, de perpétuel recul.

C’est en revenant en France il y a deux ans, que j’ai commencé à réaliser à quel point ça m’avait marqué. Au moment de passer devant des brûleries de café ou face à l’odeur de viande grillée au barbecue. Tout me revenait, de manière incontrôlable. Beaucoup de flashbacks, de sensations fantômes qui revenaient ou des manifestations physiques que des amis comparent à des attaques de panique. Des envies de vomir et beaucoup d’angoisses nocturnes.

Même si j’avais raccroché le journalisme, j’avais vu des choses tellement hors norme que je me sentais complètement à part, et j’avais tendance à m’isoler. Je n’arrivais pas à en parler, et les rares fois où j’y arrivais, on me prenait pour un mythomane. Je devenais peut-être un peu prétentieux, car je croyais que j’avais tout vu et les problèmes des autres me semblaient dérisoires. Entendre des gens se plaindre du prix des radis ou d’une contravention pour s’être mal garé me paraissait ridicule. J’ai aussi commencé à avoir des relations intimes avec une psychologue, qui s’est rendu compte que, dans mon sommeil, je criais à l’aide et appelais ma mère.

Admettre qu’un suivi psychologique ne peut qu’aider

Six mois après mon retour en France, à force de relier les points, j’ai fini par admettre que je ferais bien de voir un spécialiste pour ce qui ressemblait fortement à un syndrome de stress post-traumatique. Les rédactions pour lesquelles j’avais bossé n’avaient jamais fait de prévention sur ces risques psychologiques du métier, mais j’avais vu passer des contacts de psy dans les groupes de confrères et consœurs. J’avais des potes dans l’humanitaire qui ont également eu recours à un suivi psy et l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing, soit désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires) se détachait comme une bonne méthode pour gérer les troubles du stress post-traumatique alors c’est ce vers quoi je me suis dirigé.

Je suis allé au premier rendez-vous avec beaucoup de réticences. Je me demandais comment un même protocole de soin aussi mécanique en apparence pouvait fonctionner pour différentes personnes. Surtout que pour moi, la santé mentale, c’était un enjeu de personnes névrosées comme les héros des films de Woody Allen. Mais comme c’est justement une méthode de thérapie où l’on n’a pas besoin de beaucoup parler, l’EMDR m’allait bien pour commencer.

Le traitement du PTSD par EMDR pour aider à surmonter ses traumatismes

Les 3-4 premières séances, on a quand même surtout discuté. Comme si on s’apprivoisait. Parce que moi-même, je ne savais pas quoi raconter, donc il a passé beaucoup de temps à m’expliquer, me rassurer, me mettre en confiance. Je me sentais en position de vulnérabilité face à quelqu’un qui pourrait facilement avoir l’ascendant psychologique, alors j’étais vraiment sur mes gardes.

Puis on a commencé à tester des exercices avec les yeux, les oreilles, ou encore les mains. Avant de décider ensemble que ce qui fonctionnait le mieux pour moi, c’était l’oculaire, ce qu’on a donc fait sur la plupart des sessions suivantes. Une séance durait 45 minutes. Les 10-20 premières minutes, je devais raconter un événement violent, que j’estimais traumatique ou non, puis on faisait des exercices de mouvements d’yeux pendant 20-30 minutes. Je ne notais pas de progrès particulier de séance en séance, mais c’est vrai que je m’isolais de moins en moins et arrivais à parler un peu plus.

“Je ne sais pas si on guérit d’un PTSD, on apprend plutôt à vivre avec”

Mais ce n’est pas du tout une baguette magique. Il n’y a pas d’avant/après miraculeux. Au bout d’une douzaine de séances, je n’ai tout simplement pas pris de rendez-vous supplémentaire. Il ne m’a jamais rappelé, donc il n’y a pas eu de séance de conclusion, de débrief. Je ne sais pas si l’on peut guérir de PTSD, je pense qu’il s’agit plutôt d’apprendre à vivre avec.

Après l’EMDR, j’ai voulu faire de l'hypnose pour arrêter de fumer, et j’ai pleuré pendant toute la séance d’une heure, donc clairement je suis encore à fleur de peau. Peut-être que l’EMDR ne suffit pas pour tout le monde, c’est une thérapie brève et courte, très concrète, qui peut gagner à être complétée par d’autres formes thérapeutiques à plus moyen-long terme. Je ne me sens juste pas encore prêt, vu la période compliquée depuis le premier confinement et la pandémie qui s’éternise.

En tout cas, aujourd’hui, j’arrive à passer devant une brûlerie ou manger de la viande. Je dors mieux, sursaute moins, et n’appréhende plus autant de fermer les yeux. J’ai appris à dompter ces troubles qui étaient très handicapants socialement et ne rêve que de trouver un poste de journaliste local dans une petite rédaction bien calme, pour aller en reportage en moto jamais bien loin. Une vie tranquille.

De l'addiction au stress à l’aspiration à une vie tranquille

Je réalise aujourd’hui à quel point j’avais aussi développé une forme d’addiction au stress, à l’adrénaline. Quand je suis rentré en France, je cherchais sans m’en rendre compte des situations qui pouvaient me donner ma dose, des choses à vivre aussi fortes que ce que j’avais vécu sur le terrain en tant que reporter. Les situations de guerre m’avaient désinhibé au point où, en cas de conflit, je pouvais facilement en venir aux poings, je n’avais plus aucune tolérance à l’injustice.

Aujourd’hui encore, j’ai des flashbacks et des angoisses nocturnes, mais c’est moins fréquent, et ça va me rendre triste et irritable pendant 48h au max, de manière moins envahissante, plus diffuse. Beaucoup moins handicapante qu’à mon retour en France. Ça peut paraître cliché, mais parmi les choses qui m’aident le plus, c’est prendre soin de moi, les balades en pleine nature, la natation, et l’amour.”

*le prénom a été modifié