“Le jour où j’ai… pris conscience de mon dysmorphisme et comment je le gère”

“Le jour où j’ai… pris conscience de mon dysmorphisme et comment je le gère”

Témoignages

Photos D.R.

Texte Anthony Vincent

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Pire que des complexes ciblés, le dysmorphisme désigne un décalage pathologique entre notre perception de notre corps et la réalité. Un écart insupportable qui mène Eduardo à se tuer au sport au quotidien et à suivre de nombreuses restrictions alimentaires. Témoignage et pistes de solutions.

On peut tous avoir des imperfections et complexes qui nous tracassent, voire nous empêchent de s’épanouir dans certaines activités comme aller à la piscine. Mais quand cela tourne à l’obsession et cause une forme de repli sur soi, voire de détresse psychologique, on parle alors de dysmorphophobie ou de dysmorphisme.

La dysmorphophobie ou le dysmorphisme : kézako? 

Cela désigne un décalage pathologique entre la réalité et la manière dont une personne perçoit son corps. C’est le cas d’Eduardo*, qui peut se scruter violemment des heures durant dans un miroir par jour : « C’est quelque chose à l'œuvre chez moi depuis l’adolescence, et qui s’est accentué avec le temps, en plus de se coupler avec de l’orthorexie (trouble des conduites alimentaires qui se caractérise par l’obsession pathologique de vouloir manger le plus sainement possible). »

Comme c’est souvent le cas, le dysmorphisme d’Eduardo s’accompagne donc de troubles des conduites alimentaires (TCA) : « Ado, je faisais des crises d’hyperphagies (épisode d’orgie alimentaire). Moi qui détestais le sport, je me suis mis à en faire à partir du lycée car je haïssais mon corps, et voulais plaire davantage aux autres. C’est aussi une période où ma mère a commencé à sortir de l’anorexie en passant par une phase d’orthorexie : elle qui ne mangeait presque plus rien a réussi à se réalimenter peu à peu à travers l’obsession de manger le plus sain possible. Elle a fini par retrouver une alimentation banale, mais moi j’ai gardé et cultivé ses pires habitudes orthorexiques. »

Dysmorphisme, sport et orthorexie rythment la vie d’Eduardo

Lycéen devenu obsédé par le sport et le besoin impérieux de manger le plus sain possible, Eduardo y trouve une forme de contrôle pour lutter contre son insatisfaction corporelle handicapante : « Aujourd’hui, je viens de passer 30 ans, donc ça fait près de dix ans que je fais religieusement du sport tous les jours, pratique le jeûne intermittent 16/8 (mange seulement dans un bloc de 8h et jeûne le reste de la journée), et ne m’autorise qu’une liste réduite d’aliments. L’orthorexie, c’est très désocialisant : je vais rarement boire un verre, quasi jamais au resto, et mange surtout seul pour être sûr de respecter mes exigences.»

Sauf qu’Eduardo a beau respecter cette hygiène de vie ultra stricte, cela ne calme pas pour autant son dysmorphisme : « Je pense que toutes ces habitudes contribuent à équilibrer et maintenir mon insatisfaction corporelle, pour qu’elle ne s’aggrave pas. J’ai beau manger un repas par jour et faire beaucoup de sport, je ne suis toujours pas satisfait de mon corps. Mais si j’arrête, je sais très bien que je me détesterais encore plus. Il y a des gens qui vont se peser tous les jours, moi je me palpe, et j’ai besoin de sentir le moins d’épaisseur possible entre la peau et les muscles. »

Le suivi psychologique, le yoga, et les soins dans la salle de bain

Suivi par une psychologue depuis deux ans, Eduardo comprend notamment combien son dysmorphisme tient sans doute davantage d’un symptôme d’autres questions plus profondes, ce qui est souvent le cas, et c’est ce qu’il travaille en thérapie. Son suivi psychologique l’aide beaucoup, ainsi que le yoga : « En fonction de mon état psychologique, plus je vais mal, plus je me regarde dans le miroir, et plus je me déteste. Je passe tellement de temps à m'ausculter devant le miroir, qu’à force de fixer une partie de mon corps, mon regard construit peut-être les changements qui me contrarient. Ce n’est pas quelque chose que j’aborde frontalement en thérapie, on y aborde d’autres questions, beaucoup mes relations aux autres. Et de façon indirecte, je sens bien que ça a une incidence positive sur mon dysmorphisme.

« J’apprends aussi à prendre soin de moi dans la salle de bain avec des produits que je masse sur ma peau sans me regarder dans le miroir. Ça a l’air de rien, mais ça joue positivement. Depuis quelques années aussi, le yoga m’apprend davantage de bienveillance. Je pensais que ça allait m’aider visuellement, mais ça m’a plutôt appris à me sentir autrement. À écouter mon corps plutôt que de seulement le regarder et le maltraiter. À me rappeler que ce n’est pas mon objet. »

*le prénom a été modifié