Dans la routine de Quentin Obadia Dans la routine de Quentin Obadia

Dans la routine de Quentin Obadia

Entretiens

Photos Victoria Paterno

Texte Anthony Vincent

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Le designer en joaillerie parle gestion du temps en freelance, réflexes anti-stress et peau réactive.

C’est dans une ancienne usine à ressorts repensée en loft par ses soins, dans le XXe arrondissement de Paris, que nous accueille Quentin Obadia. Tandis que son bulldog anglais, Igor, réclame de l’attention à coups de grognements, le joaillier freelance de 35 ans prend le temps de raconter son parcours, du design automobile à la création de bijoux. Il nous parle de gestion du temps, réflexes anti-stress et peau réactive.

Peux-tu te présenter ?

Je suis Quentin Obadia, j’ai 35 ans, et je suis designer de bijoux, principalement pour les joailliers de la place Vendôme pour qui je crée des parures de haute-joaillerie (pièces uniques qui peuvent valoir plusieurs millions d’euros avec des pierres d’exceptions et fabriquées à la main dans des ateliers parisiens, ndlr), des montres ou des pièces plus accessibles.

Tu as toujours voulu créer des bijoux ?

À l'origine, j'ai fait une école spécialisée dans le design automobile car ce domaine me passionne. Pour mon diplôme, j'ai travaillé sur le thème de la transmission : les objets que les designers conçoivent leur survivent souvent, se retrouvent dans une autre époque, anachroniques ou détournés de leur fonction première. C’est le cas des bijoux qui ont parfois une signification particulière, qui sont chargés d’histoire et dont on va hériter mais qu’on va porter différemment. Par exemple, la montre du grand père qu’on porte avec un hoodie et des baskets ou l’alliance de la grand-mère qui est passée autour d’une chaîne et devient un pendentif. Donc assez naturellement ce projet de fin d’étude s’est incarné en bijou. La direction artistique de Boucheron est tombée dessus et m'a proposé un stage. J'y suis entré à 22 ans, au service marketing, alors qu'on planchait sur le concept du 150e anniversaire de la maison. J'ai finalement été embauché et suis rapidement devenu responsable du design de la joaillerie et de l'horlogerie.

Ça te faisait quoi de rentrer dans une maison aussi illustre si jeune ?

Je ne me rendais sans doute pas compte de ce que cette opportunité représentait. Heureusement car cela m'aurait beaucoup inhibé. Pour les maisons les plus anciennes, le design n'existait pas vraiment. Amener du concept, des histoires, une réflexion sur la façon de porter le bijou, la gestuelle qu’il suggère était particulièrement bienvenu dans cette maison ancienne où la création correspondait à un pur moment technique. La culture du design au sens contemporain du terme n’était pas encore développée place Vendôme.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de poursuivre dans la joaillerie ?

Ce qui m'a attiré, c'est l'idée de raconter des histoires. Je ne suis pas du genre “touché par la grâce qui se mettrait tout à coup à dessiner”. L’inspiration ne vient jamais de nulle part : les formes que je dessine sont toujours liées à un propos pour la marque. J'ai une manière de créer plus analytique qui procède du combo entre l'envie de la marque, un besoin du marché, et une histoire à raconter. C’est ça qui fait un designer.

Pourquoi as-tu décidé de te lancer à ton compte ?

J'ai été assez fidèle dans ma carrière : j'ai passé à chaque fois plus de six ans chez les marques pour lesquelles j'ai travaillé. J'ai quitté Boucheron pour Lalique vers 27 ans, et à 33 ans je suis devenu freelance car j'avais vraiment besoin d'élargir mon horizon après douze ans passés au sein de maisons au style très ornemental.

Qu’est-ce qui te plaît dans cette nouvelle indépendance ?

Maintenant plus que jamais, mon métier consiste à comprendre les marques pour mieux les faire parler. En tant que freelance, plus tu diversifies les problématiques, plus tu t'améliores car cela complète ta vision des savoir-faire, des clients, des marchés, et de varier les supports d’inspiration. À chaque fois qu'on me demande quel est mon style de dessin, je réponds toujours : "j'espère que je n'ai pas de style". Me fondre dans l’identité de chaque marque avec lesquelles je travaille me permet de traduire une stratégie business en bijoux.

Les idées viennent plus facilement depuis que tu es freelance ?

Quand tu travailles pour une seule marque, la problématique reste la même donc tu as eu le temps de la digérer, de la maîtriser, et les idées peuvent venir vite. Quand tu bosses pour plusieurs marques, les choses viennent différemment. Je me suis rendu compte, en étant freelance, du temps nécessaire à une idée pour qu'elle germe, fasse son chemin le temps de bien appréhender la problématique de la marque, et devienne un possible dessin. Parfois, on me demande seulement de dessiner un bijou, parfois de complètement recompartimenter l'offre d’une marque afin que chaque gamme raconte une histoire compréhensible et s'adresse à une cible. Chaque maison possède un territoire d'expression à respecter, que l'on soit employé ou en freelance. C'est ce qui fait la différence entre un artiste et un designer.

Comment t’organises-tu pour travailler avec plusieurs maisons à la fois ?

Je suis vraiment content d'être libre de pouvoir choisir les personnes avec qui je souhaite travailler. Je ne pourrais pas mener plusieurs projets de haute joaillerie en même temps, par exemple, car ce sont les plus exigeants, ceux qui demandent le plus d’engagement personnel généralement. Cela prend trop de bande passante de cerveau (rires). Plus les problématiques business sont différentes, plus il est facile de les faire cohabiter pour moi. Le poids de la création versus celui du marketing varie énormément en fonction des maisons. Le plus dur quand tu es freelance, c'est que tu es souvent seul et surtout que tu dois tout le temps avoir les réponses, alors qu'au sein d'une équipe on cherche ensemble.

Quelle est ta routine matinale ?

Je suis réveillé vers 8h-8h30 par mon copain, et me prends tout de suite un café. Ensuite, soit je me rends à une réunion, soit je vais faire une expo, mais le plus souvent, je descends de ma chambre pour me rendre à mon bureau afin de travailler directement en pyjama. Travailler au saut du lit me permet d’être en mode automatique, ce qui peut être très intéressant. Vers 11h, je vais prendre ma douche en guise de pause. Ça me permet de revenir ensuite à mon travail avec des idées fraîches et du recul sur ce que j’ai fait juste avant.

Tu fais quoi dans la salle de bain ?

Je me lave avec le gel douche Bergamote d'Italie/Menthe poivrée car j'adore l'odeur. J'ai vraiment le visage hypersensible donc je le nettoie après la douche avec de l'eau micellaire, Hydrabio de Bioderma, puis m'hydrate aussitôt avec l'hydratant matifiant sinon je deviens tout rouge. Je n'ai pas assez de poils pour porter la barbe, mais depuis trois ans je porte la moustache. Je la taille quand elle devient trop longue, car lorsqu'elle dépasse la longueur que j’ai actuellement, elle irrite ma peau réactive. Comme j'ai la peau du corps très sèche, j'utilise le lait Lipikar de La Roche-Posay. L'hiver, il m’arrive d’avoir des plaques de sécheresse et quand je suis en scooter j'ai littéralement mal à la peau tant elle tire. Là, comme l'été arrive, ça va beaucoup mieux et mes rares problèmes de peau viennent plutôt du stress.

Comment gères-tu ton stress ?

C’est effectivement quelque chose que j’ai dû apprendre à faire en travaillant à mon compte car tu te retrouves seul face aux marques et leurs problématiques ou l’angoisse de la page blanche. Ce n’est pas tout d’avoir du temps, encore faut-il savoir comment habiter cette liberté. Depuis peu, je fais des exercices de respiration par le ventre qui m'aident beaucoup à gérer mon stress quand approche une grosse deadline ou un rendez-vous important. Je me fixe également des micro-objectifs très concrets, faciles à atteindre à court terme afin de me mettre en confiance au lieu de laisser galoper mon cerveau. En morcelant un gros objectif en plein de petites tâches, cela paraît plus concrétisable, moins angoissant. Je vais également en salle de sport : trois fois par semaine, je fais du body pump et un peu de cardio au CMG. Je me rends à mes rendez-vous à pied le plus souvent possible. Si jamais je bloque sur un dessin, je vais m’aérer l’esprit en visitant une expo ou en allant boire un verre avec des amis.

T’arrive-t-il de dessiner ailleurs que chez toi ?

Les marques pour lesquelles je travaille ont chacune une politique de confidentialité très sévère donc je n'ai pas le droit de travailler ailleurs que chez moi, en règle générale. Je ne pourrais pas bosser dans un coworking par exemple, ni même gribouiller des bijoux dans le métro. En revanche, j’adore y dessiner les gens car c'est un lieu public où chacun est dans sa bulle. Des gens s'y maquillent, s'y curent le nez, rêvassent, et j'aime dessiner ces instants d'intimité, ça me détend et m’inspire.

Tu portes des bijoux ?

Non, sauf quand je dois porter ceux d’une marque pour laquelle je travaille lors d’un événement. Au quotidien, porter un bracelet m’empêcherait de dessiner par exemple. Je continue de porter ma boucle d’oreille davantage par souvenir de l’époque où j’ai décidé de me faire percer que pour faire joli. Le seul bijou que je porte tout le temps, c’est la montre qu’on s’est offert pour notre Pacs. Pour le coup, j'ai un rapport particulier aux bijoux : je ne sais pas si j’y crois mais je sens que les gemmes entretiennent un rapport avec le corps. Il y a des jours où je ne peux rien porter car elles me font mal. En fonction du jour, je peux porter ma chevalière ou non. Globalement, je suis quelqu'un de très terre-à-terre, sauf en matière de pierres.

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