Dans la routine de David Bellion Dans la routine de David Bellion

Dans la routine de David Bellion

Entretiens

Photos Louis Canadas

Texte Matthieu Morge-Zucconi

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Le directeur créatif du Red Star nous parle reconversion, Manchester United et Ennio Morricone.

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Ce n’est pas tous les jours que l’on a rendez-vous avec le buteur le plus rapide de l’histoire de l’Europa League. Par un lundi matin ensoleillé, c’est pourtant David Bellion, buteur avec les Girondins de Bordeaux après 11 secondes face à Galatasaray en 2009, qui nous retrouve devant chez lui, tout sourire et les bras chargés de menthe.

Que fait l’ancien footballeur avec de la menthe ? “Je vais faire du thé”, nous lance-t-il. Lui emboîtant le pas, on découvre son appartement, un somptueux espace de trois étages en plein coeur du Marais, à Paris. Autour d’une tasse de thé maison, donc, David, aujourd'hui directeur créatif du Red Star, club de football basé à Saint-Ouen et évoluant en L2, s’ouvre à nos questions. Interview d’un homme aussi à l’aise sur la pelouse d’Old Trafford, le stade de Manchester United, que dans les galeries d’art.

David, peux-tu te présenter pour nos lecteurs ?

Je m’appelle David Bellion, j’ai 34 ans et je suis Brand Manager et directeur créatif du Red Star.

Concrètement, c’est quoi ton rôle au Red Star ?

Au Red Star, nous cherchons à dresser des ponts entre la culture et le football. Mon rôle, c’est de savoir ce que l’on veut faire, et ce que l’on ne veut pas faire, dans des domaines aussi divers que la peinture, la gastronomie ou la musique - le tout en collant à l’image du club.

Tu gères donc les partenariats avec les artistes et les marques ?

Je ne discute pas avec les gros sponsors. Mon rôle repose plutôt sur nos collaborations. Récemment, nous avons lancé une collaboration avec la marque Racket, autour d’un maillot en alpaca, Made in France, limité à 18 exemplaires. Nous avons installé Krampf, un jeune DJ, pour assurer l’animation musicale des jours de matches avec de la Future et du hip-hop. Nous parrainons le prix littéraire Jules Rimet et le festival de film de football La Lucarne. Nous avons aussi en projet une block party à la fin de l’année, un calendrier…

Pourquoi toutes ces initiatives, pour se démarquer des autres clubs ?

L’objectif, c’est de parler du club à l’avenir, pas seulement de se concentrer sur son passé. De réécrire le scénario, en quelques sortes. Le Red Star est un club populaire, accessible. Nous voulons jouer là-dessus, fédérer et attirer vers le club des gens de sensibilités différentes. Récemment, nous avons réalisé la campagne de nos 120 ans avec Marfa Journal (magazine d'art et de mode, ndlr), et collaboré avec le calligraphe Nicolas Ouchenir pour le maillot anniversaire.

Généralement, les anciens sportifs se reconvertissent plus près du terrain. Pas toi. Comment l’expliques-tu ?

J’ai toujours baigné dans le design, la culture. Avec mon père, qui est architecte et écrit de la poésie, on n’a jamais parlé football. J’en regarde d’ailleurs très peu. Par contre, la direction créative m’intéresse beaucoup. Mon objectif, c’est d’amener aux gens une autre approche du football. Dans d’autres sports comme le skate ou le surf, il y a des trucs culturels très forts : Larry Clark ou les Beach Boys sont des exemples. Le foot, c’est le sport le plus populaire du monde, mais il est plutôt mal perçu culturellement.

"En France, on a l’impression qu’il ne faut pas trop brusquer le supporter historique"

Tu penses que c’est un problème français ?

Un peu, mais pas seulement. Ailleurs, des choses se passent : aux États-Unis, il y a longtemps eu le Cosmos, avec Pelé et Beckenbauer dans les années 1970. En Australie, il y a le Local FC, un site internet qui a un peu la même approche que nous du foot culture, “lifestyle”. En Allemagne, le F.C Sankt Pauli est un autre exemple de ces ponts qui peuvent être dressés entre culture et football. En Italie, il y a l’A.S Velasca, un club italien extraordinaire, lié à l’art. En France, on a l’impression qu’il ne faut pas trop brusquer le supporter historique, et donc ne pas prendre trop de risques.

Justement, le Red Star est un club historique, jongler entre ces collaborations et l’héritage du club n’est pas difficile ?

Je pense que la dimension historique du club rend ce que l’on fait encore plus intéressant. Le Red Star, c’est selon moi le club le plus crédible, par son histoire, pour dresser ces ponts entre culture et football. Les supporters du club sont uniques, ils soutiennent l’équipe même dans des lourdes défaites, surtout cette saison qui est difficile. La question de comment leur parler s’est vite posée, lorsque l’on a commencé. Certaines collaborations ont été pensées avec eux en tête, pour qu’ils soient fiers d’arborer leurs couleurs. De même, parce que l’on est un club familial, on ne veut pas de musique vulgaire, pour convenir à tout le monde.

Officiellement, le foot, ce n’est pas fini pour toi : tu n’as jamais vraiment raccroché.

Non, je joue d’ailleurs dans la ligue Le Ballon FC, avec l’Atletico Paris. Pour la troisième saison, la ligue avait besoin d’un terrain et j’ai poussé pour qu’ils puissent jouer à Bauer. Nous collaborons régulièrement avec eux maintenant, c’est une belle histoire. Autrement, je ne me vois pas vraiment revenir au niveau professionnel. Au début de ma carrière, je me suis dit que j’arrêterais le jour où mes jambes me lâcheraient mais j’ai trouvé quelque chose qui me convenait mieux - le Red Star, ça correspond à mes valeurs.

En quoi ?

J’aime une certaine idée du foot brut. C’est le foot de rue que je préfère. Ma dernière saison, en National, c’était exceptionnel. Il y avait une ambiance amateur dans un monde professionnel, c’était très débrouillard et simple. Les supporters nous suivaient partout, on avait une équipe de potes, on a vécu une super année. Le football, c’est une tranche de vie dans ma vie d’homme. Même pendant ma carrière, je traînais au musée, je flânais, je rêvassais… Aujourd’hui, j’ai trouvé mon bonheur dans mon métier, je fais quelque chose qui m’a toujours plu et je me vois continuer là dedans.

Dans ta carrière de joueur, tu as connu un très grand club, Manchester United. Tu peux m’en parler ?

C’était extraordinaire. On jouait un football magnifique. J’ai pas beaucoup joué, mais quand je jouais, si je faisais le bon appel, j’avais le ballon comme je voulais. Une superbe expérience.

"Si je n’avais pas fait de foot, j’aurais voulu être comme Pharrell"

C’était un rêve, pour toi, Manchester ?

Jeune, je voulais aller dans un grand club. C’était une évidence pour moi : je savais que je devais devenir footballeur, que je devais évoluer dans un grand club. Quand Manchester est venu me chercher alors que j’étais à Sunderland, je n’ai pas hésité : Ryan Giggs était mon idole. Cela dit, quand je suis arrivé, je n’étais pas comme dans un rêve, j’étais content de jouer avec lui, c’est tout.

Quand on regarde les clubs par lesquels tu es passé, tu as connu Sunderland, Manchester, West Ham, Nice, Bordeaux et le Red Star. On a l’impression que tu les choisissais aussi avec ta qualité de vie en tête.

C’est sûr. Mon esprit n’a jamais été à 100% tourné sur le foot, j’aimais trop d’autres choses pour ça. Manchester, c’était une ville de musique. Nice, un choix d’instinct et une superbe ville, d’autant plus que j’ai vécu à Cannes et que mes amis et ma mère n’étaient pas loin. West Ham, c’était Londres, une super ville, mais je suis arrivé blessé. Bordeaux, c’est l’une des meilleures villes de France. Je suis arrivé à un moment où il y avait une sorte de renouveau pour la ville, qu’on appelait jusque-là la “Belle Endormie”.

Tu as fini ta carrière à Paris, on a connu pire ville.

Pour être honnête, je voulais vivre à Brooklyn. J’ai failli signer au Cosmos, mais ça ne s’est pas fait. J’ai signé au Red Star, parce que c’était Paris, que j’avais de la famille là-bas et que je suis parisien. Surtout, j’ai acheté ma liberté. J’ai fait des concessions financières, c’est sûr, mais ce n’était pas grave. En L1, on te ramène constamment à ton salaire, on attend de toi un certain rendu parce que tu gagnes beaucoup d’argent. Ici, j’ai mon vélo, ma vie tranquille, je suis bien.

À Bordeaux, tu as tout gagné. C’est une ville qui a une valeur particulière, à tes yeux ?

Championnat, Coupe de France, Coupe de la Ligue, oui, j’ai tout gagné là-bas. Mais je ne classe pas les meilleurs moments par nombre de trophées gagnés. Bordeaux, c’est particulier car je me suis marié là-bas, car mes enfants sont nés là-bas, et car j’ai ouvert un restaurant, un concept un peu à mon image, là-bas.

Tu peux m’en dire plus ?

J’allais souvent à New York, où j’ai découvert Freeman’s Sporting Club, un magasin avec barbier, un restaurant… Je voulais ouvrir quelque chose de ce genre, une sorte de Gentleman’s Club. J’aimais les petit-déjeuners, la nourriture italienne, la musique, me faire raser, donc j’ai fait un truc avec tout ça dedans : des produits Baxter of California, des whiskies japonais, des cartes de membres comme à Soho House, un hôtel où j’allais tout le temps quand j’étais à New York.

Aujourd’hui, comment se déroulent tes journées de travail ?

Elles sont belles, je suis chanceux. Je ne pointe pas, je travaille surtout depuis mon iPad. Je me balade en vélo, je m’inspire. Si j’ai un rendez-vous, je le donne au bureau du président (Patrice Haddad, président du Red Star, ndlr). Je ne compte pas les heures, c’est la passion qui m’anime. Il y a une vraie confiance entre le président et moi, c’est très agréable de travailler dans ces conditions.

Tu te lèves tôt ?

J’ai deux enfants, donc oui, forcément. Pendant l’école, je me lève vers 7h30. Je suis un couche-tard, donc je dors peu. Je petit-déjeune avec les enfants, je bois du maté toasté et mange un petit-déjeuner copieux en consultant les infos. Je lis mes mails, aussi, c’est une priorité. Je les amène ensuite à l’école, c’est un de mes plaisirs dans la vie, de passer plus de temps avec eux.

"On mange facilement mal aujourd'hui, si on ne s'éduque pas"

Qu’as-tu tiré de ton passé de sportif professionnel ?

Je fais toujours beaucoup de sport. Je vais à la gym le midi, au Klay, quasiment tous les jours. J’y vais 2h après le petit-déjeuner, pour avoir le temps de bien digérer. Je fais aussi très attention à mon alimentation, à ce que je prends. Après le sport, je vais chez Wild & The Moon, un bar à jus à côté, pour des barres et des jus, car je suis intolérant au gluten. J’avais une approche presque holistique du football. Ma mère est végétalienne, passionnée par les anciens produits, on a jamais eu de médicaments à la maison donc je ne prenais jamais ceux qu’on me donnait.

Tu fais très attention à ton alimentation ?

Oui, j’ai commencé à manger bio très jeune. Lorsque je jouais, je faisais régulièrement des détox alimentaires en Italie, avec des jeûnes, des bains de boue… On mange facilement mal aujourd’hui, si on ne s’éduque pas. On prend vite des mauvaises habitudes. Je préfère dépenser plus en aliments qu’en médecin.

Tu as la même approche pour les produits ?

Je mets des trucs sur ma peau depuis petit, car j’ai la peau très sèche. Lorsque je jouais à Manchester, j’étais jeune, je me laissais vite avoir par les packagings. J’ai testé tous les produits les plus chers, Crème de la Mer, Clarins, tout ça. Ensuite, j’ai utilisé Baxter, car il m’en restait de mon salon, et j’utilise des produits Horace, le nettoyant, l'hydratant, la brosse à dents. J’aime le côté naturel. J’utilise aussi beaucoup d’huiles essentielles, d’argile, de l’argent coloïdal. Je me soigne à l’arbre à thé, à l’huile de rose, à l’huile d’amande douce… Pour le parfum, j’aime Byredo : 1996 ou M/Mink.

Tu as la tête rasée et la barbe très courte, tu les rases souvent ?

Oui, une fois par semaine pour la tête, deux fois par semaine pour la barbe. J’utilise la OneBlade de Philips. En dix minutes, tu fais tout. C’est génial. Avant j’utilisais une tondeuse japonaise, très chère, mais celle-là est mieux.

Tu me disais te coucher tard, qu’entends-tu par là ?

Je me couche rarement avant 1h du matin. J’aime la nuit, être seul, boire du vin rouge ou du thé, écouter du jazz. C’est là que je réfléchis, que j’ai mes idées. Parfois, je regarde un film, ou une série. Je n’aime pas les choses vulgaires, j’aime ce qui est lent et beau. J’adore Mad Men, House of Cards, The Young Pope.

Tu collectionnes les pièces d’art et de design. Tu cours beaucoup les galeries ?

Un peu moins qu’avant. J’ai déjà une grande collection, même si j’ai vendu pas mal de choses. Ce que j’aime, c’est le old school revisité. Il y a beaucoup de bois, de détournements d’objets : une amende par Tom Sachs, par exemple.

Je suis obligé de te poser la question. C’est qui, le joueur le plus impressionnant que tu aies côtoyé ?

C’est difficile de répondre ! Je vais t’en donner plusieurs : le plus facile, c’est Veron. Techniquement, il savait tout faire. Le plus gros travailleur, c’est Cristiano Ronaldo. Paul Scholes voyait tout avant les autres. Le plus complet et génial, c’est Wayne Rooney. Et mon idole, c’est Ryan Giggs !

Si tu n’avais pas été footballeur professionnel, tu te serais lancé dans la direction artistique plus tôt ?

Quand j’étais jeune, ce que je voulais faire, c’était de la musique. En arrivant à Sunderland, je me suis acheté un clavier et j’utilisais les mêmes logiciels que Timbaland et Swizz Beatz. J’aurais voulu faire des musiques de films, car j’adore Hans Zimmer, Carter Burwell, Ennio Morricone… Mais si je n’avais pas fait de foot, j’aurais voulu être comme Pharrell.


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