“Comment le maquillage est devenu une échappatoire à mon quotidien” “Comment le maquillage est devenu une échappatoire à mon quotidien”

“Comment le maquillage est devenu une échappatoire à mon quotidien”

Témoignages

Photos D.R.

Texte Pauline Allione

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C’est quand il était adolescent que Jayceon, désormais âgé de 29 ans et installé en région parisienne, a commencé à constituer sa trousse de maquillage. Depuis, ses palettes, pinceaux et autres accessoires occupent une pièce entière de son appartement. Pour Horace, il a accepté de revenir sur son rapport au maquillage et sur la façon dont il s’est approprié le make-up pour tordre le cou aux codes

“Comme beaucoup de jeunes garçons - beaucoup plus qu’on ne le croirait -, j’ai commencé par emprunter le maquillage de ma mère. J’avais 15 ans et à l’époque, c’était la mode des sourcils bien dessinés, alors je les remplissais au crayon. Après ça, c’est allé crescendo : j’ai mis du mascara, du rouge à lèvres… Sans oublier l'anticernes, parce que j’étais dans l’âge où on sortait beaucoup et on dormait très peu.

“J’avais appris depuis longtemps à ne pas me soucier du regard des autres”

Mes parents ont toujours été bienveillants à ce sujet, ils ont seulement voulu savoir pourquoi j’avais besoin de ça. Il se trouve qu’à l’époque, le maquillage me servait surtout à cacher des complexes, notamment des cicatrices d’acné sur lesquelles les crèmes et solutions dermatologiques n’étaient pas efficaces. Ils n’avaient pas peur des qu’en-dira-t-on, mais ils craignaient que je me fasse embêter à cause de mon maquillage.

De mon côté, cela ne me faisait pas peur. Sortir de chez moi maquillé n’a jamais été un problème. J’ai toujours eu mon petit caractère et déjà à l’époque, je ne me laissais pas marcher sur les pieds. Il faut dire qu’étant gay, j’étais habitué aux remarques sur mon côté “éfféminé”. J’avais appris depuis longtemps à faire ce dont j’avais envie et ce qui était bien pour moi, sans me soucier du regard des autres.

Il m’est arrivé plusieurs fois de me faire arrêter dans la rue ou dans un magasin. Quand on est un garçon d’1,84 mètre et qu’on a le visage bien maquillé, on ne passe pas inaperçu. Certaines personnes se moquaient, d’autres me posaient des questions et d’autres encore me partageaient leur admiration.

“C’est devenu un moyen d’être moi, mais sous une autre apparence”

En grandissant, j’ai pris confiance en moi et mon rapport au maquillage a évolué en même temps que moi. Je ne ressentais plus le besoin de cacher mes complexes en sortant de chez moi, et le maquillage est devenu une véritable passion. J’ai eu envie de passer à une étape supérieure, et je me suis mis à faire ce qu’on appelle des full face, qui consistent à se maquiller la totalité du visage. C’est devenu un moyen de me découvrir sous un nouvel angle, d’être moi, mais sous une autre apparence.

Pour apprendre les techniques, j’ai commencé à regarder des vidéos sur Youtube, dont beaucoup de tutos make-up. Il y avait des vidéos faites par des hommes et des femmes, mais les hommes qui faisaient ça en France étaient encore peu nombreux à l’époque. Je me rendais aussi dans des magasins de cosmétiques comme MAC ou Sephora, et j’allais discuter avec les garçons qui étaient maquillés. On parlait technique, accessoires et produits, ça m’a beaucoup appris.

Mais quand j’ai commencé à partager mes maquillages sur les réseaux (où Jayceon est connu sous le pseudo de Barbe Multicolore, ndlr), on a tout de suite essayé de m’enfermer dans une case. J’ai reçu une vague de haine impensable, on me disait que ce que je faisais n’était pas normal, on m’a insulté et menacé de mort. Les débuts n’ont donc pas été simples, mais heureusement ça s’est calmé avec le temps, les gens ont appris à me connaître. Il y aura toujours des mauvais commentaires, mais maintenant, je suis surtout entouré de personnes bienveillantes.

Si le maquillage me servait autrefois à cacher mes complexes et à m’assumer, c’est désormais devenu un véritable moyen d’expression dans lequel j’ai une liberté totale. Je prends ça comme un moyen de faire passer un message à travers ma personne ou mon personnage, qu’il s’agisse d’un message de différence, de tolérance, de respect… Et puis, à titre personnel, c’est aussi une échappatoire à mon quotidien, mon travail et mon rôle de mari et de papa. J’ai une pièce consacrée à mes maquillages et quand je ferme la porte de cette pièce, je suis juste Jayceon. Je suis dans mon monde, il n’y a plus de corvée ou de problème, et je peux enfin souffler.”

Jayceon sur TikTok et Instagram.