Comment ça fonctionne, l'odorat ?

Un parfum qui vous ramène à un premier amour, l'odeur d'une herbe aromatique qui vous transporte dans le jardin familial : l'odorat est, à bien des égards, le sens du souvenir. Pourquoi ? Comment ça fonctionne ? Explications.

“Dans les années 80, l’odorat était considéré comme un sens inférieur, animal, trop proche de la sexualité”, explique Annick Le Guérer, historienne de l’odorat et du parfum, et autrice de “Le Parfum. Des origines à nos jours”. L’odorat, qui est l’un des premiers sens à se développer chez l’humain, fonctionne grâce à des neurones olfactifs qui possèdent des cils, situés dans le mucus. “Les cellules olfactives se trouvent à la racine du nez, c’est à dire tout en haut du nez. Lorsque vous sentez un parfum, des particules passent par les voies aériennes et vont vers le haut du nez. Les cellules olfactives vont ensuite transmettre ces informations au cerveau, qui va chercher à reconnaître l’odeur”, détaille le Dr Yves-Victor Kamami, médecin ORL à Paris.

Résultat, le nez identifie une odeur comme agréable, ou non. Et le panel des émotions suscitées par les odeurs est riche : réconfortante, sensuelle, dégoûtante, appétissante.... C’est d’ailleurs sur cette base que travaille Anne-Cécile Garin, qui compose des fragrances sur mesure dans son bar à parfums Ydentik, à Lyon. “On travaille sur des ingrédients préférés ou sur un thème qui va donner une direction. Ça peut être quelque chose de fort, intense, sucré, dynamique, cocooning…” À partir de là, elle essaie de comprendre l’univers olfactif de son ou sa cliente, pour arriver à poser une senteur sur des mots. “Le poudré c’est incroyable, dans la tête des gens ce n’est pas du tout la même chose. On a le vrai poudré qui est un peu savonneux, mais certains vont rechercher quelque chose de chaleureux, et d’autres un côté frais”, détaille Anne-Cécile Garin.

Les goûts et les couleurs

Mais alors, pourquoi aime-t-on l’odeur de l’herbe fraîchement coupée et n’aime-t-on pas celle de la banane (ou inversement) ? “L’univers olfactif est prédéterminé par ce qu’on a senti petit. Il y a des odeurs qu’on va détester, et peut-être qu’en cherchant, on se rendra compte qu’on n’aime pas le patchouli parce que notre méchante maîtresse du CP sentait le patchouli.” Car très souvent, nous assimilons les odeurs à des personnes, des choses, des périodes, ou même des lieux. Le responsable de cette association, c’est le rhinencéphale, une partie très ancienne de notre cortex cérébral qui stocke des informations depuis notre naissance (et même avant). “Lorsque vous sentez une odeur, le cerveau va essayer de la reconnaître. Il va chercher à quoi elle correspond, un petit peu comme dans une bibliothèque, et c’est là qu’un souvenir peut ressurgir”, explique le Dr Yves-Victor Kamami. “Un parfum peut faire ressurgir de façon tout à fait imprévisible des souvenirs très anciens qui étaient enfouis dans la mémoire olfactive et émotionnelle”, renchérit Annick Le Guérer. C’est pourquoi certaines odeurs, en venant titiller le rhinencéphale, provoquent des flashbacks et nous ramènent à notre premier amour ou aux gâteaux de mamie.

C’est justement parce que cette mémoire ne relève pas du cognitif que les odeurs sont utilisées dans le cadre de traitements auprès de personnes atteintes de pathologies, ou même avec des détenus en prison, pour maintenir un contact avec le monde extérieur. “Le premier symptôme qui permet de reconnaître la maladie d’Alzheimer, c’est la difficulté à reconnaître les odeurs. En revanche, les odeurs qu’on fait sentir aux malades les calment, les apaisent et font ressurgir des souvenirs”, détaille l’historienne. À l’hôpital de Garches, une olfactothérapeute a ainsi eu l’idée d’utiliser les odeurs pour aider des patients ayant été dans le coma à retrouver le langage.

“On a toujours voulu avoir une signature olfactive”

Avant l’olfactothérapie (une approche psycho-émotionnelle née au début des années 90), le parfum a eu maintes utilisations : outil de séduction, médicament, et même fonction religieuse. “En Egypte antique, le Kyphi était un parfum qui servait à honorer les Dieux, on le présentait en offrande trois fois par jour. On pouvait aussi l’avaler pour soigner les maladies intestinales et hépatiques, et on s’en servait pour se détendre.” Boire son flacon de parfum n’est plus vraiment d’actualité, mais il n’empêche que les quelques pschits que l’on se vaporise au creux du cou assument différentes fonctions, comme séduire ou affirmer sa personnalité. “On a toujours voulu avoir une signature olfactive, montrer aux autres qui on est à travers le parfum. On choisit un parfum en fonction de la personnalité qu’on veut présenter aux autres. Par exemple, certaines personnes timides vont choisir des parfums très sensuels, très capiteux pour montrer que ce sont des personnalités fortes” explique Annick Le Guérer.

La revendication identitaire n’est cependant pas la motivation de chaque personne parfumée, en témoignent ceux qui changent régulièrement de flacon. “On ne voit pas tous le parfum comme une représentation olfactive de ce que l’on est, nuance Anne-Cécile Garin. En boutique, j’ai des personnes qui vont reproduire systématiquement le même parfum, et d’autres qui vont s’amuser et partir sur autre chose à chaque fois. Ça ne veut pas dire qu’elles sont instables.” S’amuser, et pourquoi pas casser les codes, en piochant dans les parfums habituellement associés au genre opposé. Alors que les rayons homme et femme sont clairement séparés en parfumerie traditionnelle, le sur-mesure gomme les frontières : “Tous les jours, je vois des hommes se parfumer chez les femmes et des femmes se parfumer chez les hommes, raconte la gérante d’Ydentik. Mais c’est normal, qui a décidé que la vanille était pour les femmes et le bois pour les hommes ? C’est culturel, il y a des pays dans lesquels c’est le contraire, et ces représentations évoluent.” Une histoire, une personnalité, une intention… Une fragrance peut cacher bien des choses. Et vous, il raconte quoi, votre parfum ?

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